• Les Perles de la Méditerranée

    Les Perles de la Méditerranée

LA TUNISIE DE TOUTE ÉTERNITÉ

 

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On pourrait dresser un florilège de citations proches de celle de Braudel, affirmant l’existence presque immémoriale d’une personnalité propre à ce petit territoire posé à l’extrémité nord-est de l’immense continent africain, et baigné par la Méditerranée. Il serait le produit d’une alchimie qui lui aurait donné une singularité à nulle autre pareille dans sa région: une géographie particulière, une large ouverture sur une mer emblématique, des ressources modestes sans être négligeables, une urbanité inscrite sur son sol depuis des millénaires, un mélange inédit de populations et de cultures, l’existence multiséculaire d’un État, voilà ce qui aurait contribué à donner à ce vieux pays sa configuration particulière. Au seuil d’en écrire l’histoire sur la longue durée, il conviendra de confirmer, ou pas, la véracité de ce constat. Avalisera-t-on le récit canonique fondé sur le postulat de l’existence d’une Tunisie trois fois millénaire, installée depuis Carthage dans des frontières à peu près immuables et ayant opéré une heureuse synthèse des apports successifs des peuples et civilisations qui se sont succédé sur son territoire? Ou déconstruira-t-on ce qui relève du roman national, construction au demeurant ordinaire dans tout processus de fabrication d’une nation? L’exploration de son passé nous fera comprendre comment la Tunisie s’est édifiée et selon quelles modalités, en suivant quels processus historiques, au gré de quels aléas, les habitants de ce morceau de terre ancré au sud dans le désert saharien et, au nord-est, à portée de radeau des côtes européennes, se sont progressivement senti appartenir à une même nation.

 

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La Tunisie possède un patrimoine archéologique particulièrement important et pourtant mal connu. Une réelle richesse archéologique qui vaut autant pour le nombre – plus de trente sites illustrent les différentes périodes de son Antiquité, souvent dans des sites géographiques remarquables –, que pour la qualité de conservation et de restauration des lieux et des monuments. Des noms qui ont en leur temps brillé de toutes les gloires: Carthage, fondée par la princesse tyrienne Didon, capitale de l’Empire punique, puis troisième cité de l’Empire romain; Kairouan, première ville fondée par les Arabes en Afrique du nord et quatrième ville sainte de l’islam… Plus qu’une terre de légendes, le Chott el Djérid aurait été le lieu de séjour de la Méduse, une des trois sœurs Gorgone. La Tunisie est une terre de héros: Hannibal Barca le Carthaginois; Massinissa roi des Massyles, roi numide; la Kahina héroïne berbère de la résistance à la conquête arabe… La Tunisie n’a pas de frontières naturelles très marquées, son histoire participe organiquement à celle de l’Afrique du Nord. Attrayante par sa situation de promontoire de l’Afrique sur la Méditerranée, si elle a un territoire géographique peu étendu, son histoire est riche en épopées, conquêtes, création d’empires et de royaumes…

 

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Plusieurs atouts vaudront à la Tunisie d’être une terre d’attraction, un espace convoité. Tout d’abord, sa situation géographique, avec 1250 km de côtes sur la Méditerranée, soit un peu moins de la moitié de son périmètre, en fait un pays ouvert sur la mer. On comprend mieux qu’elle ait pu attirer les peuples venus de la mer, et ceux qui partent de ses côtes pour poursuivre leurs conquêtes maritimes. Elle est très engagée dans l’espace maritime, principalement par la péninsule du cap Bon; le canal de Sicile qui sépare la Sicile de la Tunisie, passage stratégique fréquenté à toutes les époques, n’est large que de 150 km, une situation qui la rend proche des grandes îles du bassin occidental de la Méditerranée et du littoral italien. La Tunisie attire de nombreux peuples qui ont colonisé les rives de la Méditerranée. Les Phéniciens dès le XIIème siècle avant notre ère, les Romains, les Turcs ottomans au XVIème siècle; mais rappelons aussi la présence éphémère des Vandales au Vème siècle, des Byzantins au siècle suivant, puis des Arabes au VIIème siècle, avec lesquels commencent l’arabisation et l’islamisation du pays. Mais elle est également un point de départ: de ses côtes se sont embarqués les Puniques à la conquête des îles de la Méditerranée et de la péninsule ibérique. La géographie tunisienne jouit d’un autre atout: son espace agricole, certes réduit mais fécond. Au nord se trouvent les plaines de la Medjerda, située entre les montagnes de Kroumirie et les collines des Mogods. Au centre, la région des Grandes Plaines se compose de cuvettes, de vallées fertiles, cultivées et irriguées grâce à la présence d’oueds, de nappes phréatiques, et mises en valeur par les colonisateurs: les Phéniciens les ont créées, les Puniques entretenues, les Romains et les Arabes valorisées. La Tunisie fertile s’étend au sud jusqu’à la marge septentrionale du Sahara, aux oasis et au Chott el Djérid. S’y développent les cultures du blé, de l’olivier, de la vigne, des arbres fruitiers (notamment des figuiers dont les fruits étaient réputés dès l’Antiquité). L’élevage n’est pas en reste, grâce à des terres pour l’élevage de chevaux, de bœufs, de moutons. Autre avantage qu’offre sa situation géographique, la Tunisie se situe sur la route de caravanes qui passent chargées des trésors de l’Afrique subsaharienne.

 

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La Tunisie entre dans la grande histoire avec les Phéniciens, qui donnent au pays sa remarquable impulsion historique.

Dès la fin du IIème millénaire avant notre ère, des marins venus de Tyr ou de Sidon, ports au sud de l’actuel Liban, accostent sur la côte africaine. La légende donne à Utique, située à environ vingt kilomètres à l’ouest de Tunis, l’antériorité sur toutes leurs fondations. À l’origine, les comptoirs phéniciens sont des points d’ancrage sur la route qui les conduit vers la péninsule ibérique, et des étapes sur la route du retour, dont la fonction répond aussi à la volonté de surveiller la concurrence grecque en Méditerranée occidentale. C’est sur la côte orientale, dans les îles Kerkennah, à Djerba, à Hadrumète, l’actuelle Sousse, ou à l’abri des havres de la côte nord à Bizerte, que trois siècles après Utique est fondée Qart Hadasht, « la ville nouvelle », la nouvelle Tyr, la plus grande réussite des descendants des Phéniciens, passée à la postérité sous le nom de Carthage. Tous les choix des sites de la côte nord s’avèrent excellents. Les Carthaginois et leurs successeurs en Tunisie développent et exploitent les atouts des sites portuaires: de Thabraca, l’actuelle Tabarka, seront expédiés les marbres de Chemtou vers Rome; Bizerte sera une redoutable république barbaresque… Bien sûr, la réussite la plus spectaculaire est celle de Carthage, l’ancienne rivale de Rome devenue une des cités phares du monde romain, dont elle est un des ports principaux, puis capitale du royaume vandale, avant d’être un important port byzantin, prise enfin et détruite par les conquérants arabes… Son existence couvre plus d’un millénaire et demi, entre sa fondation en 814 avant notre ère et sa destruction en 698. À quelques kilomètres, Tunis, construite avec de nombreux réemplois du site antique, semble rapidement, dès la première dynastie locale des Aghlabides, prête à prendre le relais, devenant à partir du XIIIème sous la dynastie des Hafsides, la capitale de la Tunisie. De Qart Hadasht à Carthage À partir des VIème-Vème siècle avant notre ère, Carthage affirme son rôle de cité-État conquérante, à la tête d’une véritable puissance maritime et économique qui domine tout le bassin occidental de la Méditerranée. On ne parle plus alors de phénicien mais de punique pour définir l’histoire, la civilisation, l’art, la religion de Carthage et son empire, expressions de la fusion des éléments berbère et phénicien. La capitale de l’Empire punique a pris le relais des grands ports phéniciens, annexés à l’Empire assyrien vers 700-677 avant notre ère. C’est la Carthage punique qui prend le relais d’influence dans les îles et les côtes du bassin occidental de la Méditerranée, qui est en en contact avec les Grecs et les Étrusques, qui s’étend sur l’Afrique du nord, établissant des relations économiques et politiques jusqu’aux comptoirs de Tripolitaine, en Libye occidentale. Carthago delenda est En un peu plus d’un siècle et en trois guerres, Rome anéantit l’Empire carthaginois. Trois guerres dites puniques (de 264 à 241, 222 à 202 et 149 à 146 avant notre ère), voulues par Rome, conduisent les Carthaginois à la perte successive de leurs possessions insulaires de Sicile et de leurs territoires ibères, avant que leur destin soit scellé par la destruction de leur ville. Le passé phénico-punique de la Tunisie a laissé de nombreux témoignages: des sites archéologiques permettent, à travers l’architecture civile funéraire et domestique, l’urbanisme, et un abondant matériel funéraire, d’en mesurer l’importance et la valeur. Sur le site de Carthage, sur l’emplacement de la colline de Byrsa, autrefois lieu d’un sanctuaire dédié au dieu Eschmoun, le «quartier Hannibal» présente ses rues ceinturant des îlots de constructions, ses maisons à étage avec une cour centrale où se dressent une citerne et un puisard pour l’évacuation des eaux usées. Leurs toits font office de terrasses. C’est aussi un ancien quartier d’artisanat, dans lequel les archéologues ont découvert des fours de verriers et des moules utilisés pour la réalisation de bijoux. Carthage n’a pas la monopole des monuments puniques. Il y a des nécropoles à Utique; à Bou Grara, l’antique Gigthis, on trouve des tombes en hypogée, dont les plus anciennes sont datées du IIIème siècle avant notre ère; de nombreux sanctuaires contiennent des tophets, sortes d’autels sacrificatoires puniques. On en trouve également dans les ruines de Makthar, à Hadrumète (l’actuelle Sousse, dont le musée expose un tombeau punique). Le plus célèbre sanctuaire reste cependant celui de Carthage, avec des dizaines de milliers de sépultures, d’urnes (certaines conservent encore des fragments d’os calcinés) et de stèles avec des inscriptions et des gravures. Faits remarquables, car si les tophets sont d’origine phénicienne, aucun ne nous est parvenu de la côte orientale de la Méditerranée. Le témoin le plus remarquable d’urbanisme punique se trouve à l’extrémité du cap Bon, une cité punique jamais reconstruite après sa destruction par les Romains: Kerkouane. L’histoire de ce site archéologique exceptionnel s’achève dans le contexte de la Première Guerre punique, lorsque Rome porte la guerre sur les territoires africains de Carthage. Abandonnée après avoir été prise en 255 avant notre ère par le consul romain Regulus, la ville obtient une petite victoire lorsque l’armée de Regulus est écrasée par les éléphants des Carthaginois et les cavaliers numides. Cette cité punique est aujourd’hui l’unique exemple qui nous soit parvenu d’un plan conservé, avec son aménagement d’origine. Il s’agit d’une ville modeste, de pêcheurs et d’artisans, à la surface réduite. À l’intérieur d’une double enceinte circulaire, sur sa partie ouest aux parois séparées par un large couloir de circulation, tandis que la partie est surplombe la mer, ont subsisté des témoignages d’occupation dont les plus anciens remontent au VIème siècle avant notre ère: des maisons au décor de mosaïque représentant le signe de Tanit, dans lesquelles la présence de baignoires sabots atteste d’un souci d’hygiène et de confort. Citons aussi le site de Thuburbo Majus, site punique occupé et développé par Rome, qui conserve le plan irrégulier de son passé. De son passé phénico-punique, la Tunisie garde d’exceptionnelles collections archéologiques conservées au musée du Bardo à Tunis: des statuettes de divinités, des stèles de tophet et beaucoup d’objets provenant de tombes, un matériel funéraire dont certains éléments remontent au VIIème siècle avant notre ère, composé de bijoux en or, de vases biberons, de masques pendentifs en pâte de verre, des masques de terre cuite aux vertus apotropaïques, d’œufs d’autruche décorés, de stèles avec inscriptions et iconographie, d’ex-voto, lampes à l’huile, monnaies. Le musée expose aussi des stèles bilingues, en libyque et punique ou en libyque et en latin. Quand la Tunisie était Numide La Tunisie numide couvre la partie la plus orientale d’un vaste territoire qui s’étend des rivages de l’Atlantique aux frontières de Carthage: de Bulla Regia au nord, à Capsa (l’actuelle Gafsa) au sud. Le développement de son histoire, des relations politiques et économiques est sujet d’abord à l’influence des Puniques, puis au conflit qui oppose Carthage à Rome, enfin à la romanisation. Bulla Regia, l’actuelle Hammam Derradji, petite cité numide dans l’orbite de Carthage, devient Regia, capitale royale d’un royaume numide de la deuxième moitié du IIème siècle avant notre ère. Sa prospérité à l’époque romaine est attestée par des maisons dont la particularité est de disposer d’étages souterrains, aux pavements de mosaïques, permettant de s’abriter des chaleurs des chaudes saisons. Non loin de Bulla Regia se dresse Simitthus, l’actuelle Chemtou, célèbre pour l’exploitation des carrières de marbre jaune et rose, dit «marbre numidique », des tombes circulaires de tradition numide, un temple dédié à Massinissa, mais surtout plus de 300 reliefs rupestres sur les pentes de la montagne illustrant des scènes de sacrifice. Thugga, l’actuelle Dougga, est un des plus intéressants sites archéologiques du pays. Dix-sept siècles d’occupation révèlent des vestiges de son passé numide, punique, romain et byzantin. Elle est la ville de naissance de Massinissa ; ce grand roi numide du royaume Massyle qui, d’abord allié des Puniques contre Rome en Ibérie, renverse ensuite son alliance, pour se ranger durant la deuxième Guerre punique du côté de Rome contre Carthage.

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Thugga fut une des capitales de son royaume. La cité possède le seul monument d’architecture royale numide en Tunisie, un mausolée daté de la fin IIIèmedébut IIème siècle, haut de 21 mètres, élevé et construit selon la tradition des monuments funéraires de l’Orient hellénistique, et considéré comme le cénotaphe de Massinissa. Ce mausolée libyco-berbère célèbre par son inscription en libyque et en punique est aujourd’hui conservé au musée du Bardo, sous l’appellation de « la bilingue de Massinissa ». Il est à la base du déchiffrement du libyque. Les monuments de Rome se greffent ensuite sur le plan urbain irrégulier de la ville, comme le forum et son insolite dallage au décor en forme de rose des vents… On peut aussi mentionner les ruines de l’ancienne Mactaris, près de l’actuelle Maktar, ancienne forteresse des rois numides, peuplée au Ier siècle avant notre ère par des colons d’origine punique, dont la présence est attestée, outre le tophet, par les vestiges d’un temple élevé à une divinité punique. Colonia Julia Concordia Carthago Une nouvelle cité est bâtie sur les ruines de Carthage, de son sol salé et maudit, selon un projet inabouti de César et mené à terme par Auguste. Il donne à la cité ressuscitée le nom de Colonia Julia Concordia Carthago. Mais la ville retrouve pleinement son rôle de capitale lors de la création de la province d’Afrique proconsulaire. Aux IIème et IIIème siècles, sous les Antonins et les Sévères, elle se couvre de monuments. Avec près de 300000 habitants, Carthage est devenue la plus importante des 200 villes romaines en Afrique du nord. Les fouilles archéologiques ont révélé que le développement de la Carthage romaine se superpose aux fondations de la capitale punique. En son centre, la colline de Byrsa est aplanie afin de permettre l’édification d’un gigantesque forum, dix fois plus étendu que ceux de la plupart des cités romaines d’Afrique. Rome réutilise les installations portuaires des Carthaginois, ce formidable ensemble composé d’un port de guerre de forme circulaire au centre duquel se trouve l’amirauté, et d’un port de commerce, de forme rectangulaire. Les deux ports sont reliés l’un à l’autre. L’empereur Antonin fait quant à lui bâtir des thermes monumentaux et luxueux au milieu du IIème siècle. La Tunisie en Afrique proconsulaire La Tunisie romaine a été plusieurs fois morcelée, rassemblée, redécoupée au cours de la domination romaine, à chaque réorganisation administrative de l’Empire. En effet, la province romaine est une division administrative, obtenue par conquête ou par démembrement. À la fin du IIIème siècle, il existe plusieurs dizaines de provinces, ce qui conduit l’empereur Dioclétien à les réorganiser: les provinces sont regroupées en quatre diocèses, eux-mêmes rassemblés en quatre préfectures du prétoire. Après la destruction de Carthage en 146 avant notre ère, Rome fonde sa première province africaine: la province d’Afrique, installée sur la plus grande partie des anciens territoires de Carthage. Elle correspond au tiers nord de l’actuelle Tunisie. Sa création répond à la volonté de Rome d’imposer son empreinte sur les territoires de celle qui avait été son ennemie durant plus de deux siècles, de protéger la péninsule italique par le contrôle du détroit de Messine et par la surveillance des territoires voisins.

 

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Rome garde un œil sur la Numidie de laquelle la province africaine est isolée par la Fossa regia, fossé artificiel partant au nord de l’oued el Kébir près de Thabraca, au sud à Sfax. En 27 avant notre ère, Octave, le futur Auguste, crée une nouvelle province: la province d’Afrique proconsulaire, née du regroupement de l’Africa Vetus (l’ancienne province d’Afrique) et l’Africa Nova (l’ancienne Numidie) créées par César. Cette province est la plus riche, la plus prestigieuse des provinces romaines d’Afrique, gérée par un proconsul qui réside à Carthage. Elle s’étend de l’est algérien à l’autel des Frères Philènes (au milieu du golfe de la grande Syrte en Libye). Entre la fin du IIIème siècle et le début du IVème, sous Dioclétien, elle est partagée en trois. Au nord, la Zeugitane, avec Carthage pour capitale; au centre, la Byzacène dont la capitale fut Hadrumète; au sud la Tripolitaine autour de Leptis Magna sa capitale. La Byzacène tire sa richesse de l’exploitation de ses ressources agricoles que les colons romains, de grands propriétaires fonciers, ont mises en valeur et exploitées grâce à une abondante main-d’œuvre servile. La Byzacène est un des « greniers à blé de Rome », au rendement important puisqu’il constitue le tiers de l’annone, la distribution du blé par le Sénat au

peuple romain. Au IIème siècle, l’agriculture s’oriente vers de nouveaux rendements: la vigne et l’olivier. Viticulture et oléiculture étaient déjà exploitées par les Phéniciens, et développées par Hadrien au début du IIème siècle. Ils produisent une huile d’olive qui, selon son traitement donnait des qualités différentes, les meilleures étant destinées à l’alimentation, les autres à la cosmétique et à l’éclairage. C’est dans ses provinces africaines que Rome capture les bêtes fauves, qui sont embarquées dans le port de Carthage à destination d’Ostie, port de Rome, pour animer les jeux du cirque. La création de province, un instrument de romanisation Six siècles durant, Rome conduit ses légions en Afrique, y envoye des colons, y installe ses vétérans, construit des cités, développe l’agriculture, étend son réseau routier et perfectionne les réseaux hydrauliques, élève des ponts, encourage l’exportation, favorise le commerce… et romanise les populations et les villes. A Ammaedara, l’actuelle Haïdra, Auguste poste de façon permanente avec un cantonnement fixe la IIIème légion auguste. Cette formation militaire de 5000 fantassins - tous citoyens romains - est la seule basée en Afrique du Nord. La ville de Simitthus accueille quant à elle une colonie de vétérans. Les cités sont dotées des monuments traditionnels de l’urbanisme romain: forum, temples, thermes, cirque, amphithéâtre…

 

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L’amphithéâtre d’el Djem, l’antique Thysdrus, bâti au IIIème siècle, quoique inachevé est un des plus imposants exemples du monde romain. Il témoigne à la fois de la prospérité de la cité, due à sa production oléicole, et de l’intégration réussie des populations, romanisée La romanisation: un phénomène de domination, d’exploitation, d’acculturation? La romanisation se déroule en plusieurs temps. D’abord, la conquête militaire: l’envoi de légions, pour le déplacement desquelles des routes sont construites, précède, dans les régions pacifiées, l’envoi de colons, de vétérans, installés dans des cités nouvellement édifiées ou dans les cités vaincues. Rome crée ainsi deux cents villes ex nihilo ou sur d’anciens sites numides ou puniques, reliées entre elles par un important réseau routier désormais dévolu au commerce et à la communication. Avec le temps, les cités conquises bénéficient de statuts promotionnels (municipes, colonies), et deviennent des centres de surveillance, de contrôle politique, de gestion administrative, et de diffusion culturelle. Caracalla donne la citoyenneté romaine à tous les sujets libres de l’Empire par un édit de 212. L’uniformisation passe aussi par l’adoption de la langue latine, qui supplante petit à petit les langues indigènes. Dans le domaine religieux, des formes de syncrétismes se développent. En dépit de cette volonté d’uniformisation dans un cadre rigide, les cités romaines doivent s’adapter à des contraintes de terrain, par exemple ajuster le dessin des monuments à des tracés plus anciens, éloignés du plan orthogonal cher aux Romains. Sufetala en est un rare exemple avec ses trois temples élevés à la triade capitoline (Jupiter, Junon, Minerve), habituellement logée dans un seul et même temple. Au pied du Djebel Zaghouan, aux eaux abondantes, un imposant nymphée (grotte où jaillit une source) proche de l’antique Ziqua constitue le point de départ d’une longue canalisation, parfois souterraine, le plus souvent portée par un aqueduc, qui conduit l’eau à travers vallées et collines, enjambant l’oued Miliane, sur une distance de 132 km jusqu’aux citernes et réservoirs de Carthage. Cet imposant et remarquable ouvrage de pierre et de briques, daté du début du IIème siècle, est coupé au Vème siècle par les Vandales, rétabli au VIème siècle par les Byzantins, détruit à nouveau par les Arabes à la fin du VIIème siècle lors de la prise de Carthage, et restauré enfin au Xème siècle par les Fatimides, puis par les Hafsides qui le destinaient à l’alimentation en eau de Tunis. Rome continue d’exploiter les carrières de marbre de Simitthus en employant des prisonniers condamnés au travail dans les mines. On a retrouvé dans le camp de travaux forcés, installé en dehors de la cité, de longues pièces dont on suppose qu’elles servaient de dortoir aux condamnés aux mines. L’école africaine de mosaïques Agriculture, viticulture, commerce enrichissent les cités et les particuliers, favorisant ainsi la construction de vastes villas aménagées pour répondre aux préoccupations de confort et de luxe des propriétaires: thermes privés, système de chauffage par hypocauste à Thuburbo Majus, innombrables mosaïques aujourd’hui visibles dans les musées de Tunis, Sousse et Sfax. Ces pavements de mosaïques révèlent l’opulence et le goût pour l’apparat d’une classe fortunée, romaine ou romanisée, au moins en partie, et cultivée. Parmi la très importante collection de mosaïques du musée du Bardo, se distingue surtout la mosaïque dite de Virgile, datant du IIIème siècle et trouvée dans une maison d’Hadrumète; elle représente le poète en compagnie de deux figures féminines, Clio, la muse de l’histoire, et Melpomène, la muse de la tragédie, avec un masque. Le poète porte un volumen sur lequel on peut lire le 8ème vers de l’Enéide, qui permet de l’identifier. Des IIème et IIIème siècles, période de prospérité de l’Empire romain, datent les belles villas de campagne, mais aussi les demeures de Carthage, Thuburbo Majus, Hadrumète, Thabraca, Thugga, Thysdrus, Sufetula. Les mosaïques qu’on y trouve sont d’une exceptionnelle qualité, par leurs dimen sions, la taille des tesselles, la richesse des couleurs (celles des nombreuses pierres provenant de toutes les régions de l’Empire romain), la variété des thèmes…

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Les thèmes privilégiés sont issus de la mythologie et de la vie quotidienne. Avec un luxe de détails, elles représentent les activités humaines de l’époque: l’exploitation agricole et les travaux des champs, les activités cynégétiques (chasse au sanglier ou à la grue, passetemps très prisé de l’aristocratie africaine), les plaisirs ludiques (course de chars) et autres (scènes de banquet), l’architecture religieuse et domestique, ou encore la faune, la flore, l’habillement… Ni la fin de la prospérité économique, ni l’instabilité qui se font sentir dès la moitié du IIIème ne mènent à la disparition des productions des mosaïstes. Pour exemple, la célèbre mosaïque du Vème siècle dite du seigneur Julius, provenant de Carthage, montre l’activité d’un domaine de l’antiquité tardive, en présence des maître et maîtresse de maison, accompagnés de leurs serviteurs. Les collections muséographiques présentent de nombreuses sculptures prélevées sur les villas et les monuments publics: portraits d’empereurs, statues, bustes, sarcophages. La Tunisie au Bas-Empire À la fin du IIème siècle, le christianisme se répand dans l’Empire. Les cités voient s’élever les premières basiliques. On retrouve des bassins pour baptême à immersion, comme celui de Gightis, exposé au musée de Tunis. Les premiers chrétiens se regroupent dans les catacombes pour prier, puis pour y être inhumés: à Sousse, les catacombes du Bon Pasteur, datées de la fin du IIème à la fin du IVème siècle s’étendent sur quatre kilomètres, sur lesquels plus de 200 galeries regroupent quelque 15000 tombes. Des plaques et inscriptions funéraires proviennent des nécropoles, ainsi que des mosaïques tombales, dont une des plus célèbres date du IVème siècle et porte l’inscription « Ecclesia Mater »; elle représente une église en coupe, avec escalier, nef, et un autel où brûlent des cierges. Sur les périodes paléochrétienne et chrétienne, les musées de Tunis et de Sousse présentent des collections très intéressantes: des carreaux de terre cuite représentant des scènes bibliques, des pierres tombales du VIème siècle décorées de l’effigie du défunt en orant, avec des symboles chrétiens, des épitaphes… On trouve aussi de très intéressantes stèles funéraires qui portent l’inscription « in pace ».

Les conquérants vandales et byzantins Lorsqu’au début du Vème siècle arrivent les Vandales, les cités mal protégées par des murailles peu entretenues tombent rapidement, dont Carthage qui avait pourtant retrouvé sa splendeur au IVème siècle. Derrière Rome et Constantinople, elle était la troisième ville de l’Empire. Sa muraille reconstruite au début du Vème siècle ne suffit pas à arrêter les Vandales en 439. La prise de la cité conduit à la fondation du Royaume vandale de Carthage, devenue la capitale. Un siècle plus tard, en 534, ils laissent la place aux Byzantins. Derrière le général Bélisaire, les armées de Justinien conduisent la reconquête des territoires perdus par Rome en Méditerranée occidentale, dans le but de restaurer la grandeur de l’Empire. Leur talent de bâtisseurs se remarque dans la restauration de murailles des cités côtières, dans l’édification de forteresses dans un arrière-pays difficilement contrôlable, sujet à un esprit de révolte engendré par un déséquilibre politique et économique, et dans l’élévation de vastes basiliques, comme l’immense basilique de la Damous el-Karita de Carthage, au VIe siècle. La Tunisie possède pour cette période plusieurs ouvrages militaires dont deux sont considérés comme exceptionnels: dans l’actuelle Haïdra (ancienne Ammaedara), qui retrouve la situation stratégique qui avait été la sienne durant le temps où elle abritait la IIIème légion auguste, au-dessus de l’oued Medjerda, les Byzantins élèvent une forteresse, considérée comme une des plus vastes et des mieux bâties de toute l’Afrique du nord. Le site présente également des vestiges de la citadelle, et d’une basilique édifiée au centre d’un vaste complexe, ainsi qu’une nécropole. La forteresse de Limissa, aujourd’hui Ksar Lemsa, est considérée comme la mieux conservée d’Afrique du nord. En 647, les Arabes prennent pied en Tunisie. En 698, Carthage est conquise. La Tunisie entre dans l’aire culturelle arabo-musulmane, début d’une nouvelle période riche en créations artistiques et architecturales.